C’est un homme très dégourdi et affable que nous rencontrons en cet après-midi du 3 septembre 2018 au siège du Mouvement de la solidarité pour le droit au logement (MSP-DROL). Seydou TRAORE, puisque c’est de lui qu’il agit, a bien voulu nous accorder un entretien au cours duquel nous avons passé au peigne fin la problématique du foncier au Burkina Faso. Sans langue de bois, ce militant infatigable de la promotion des droits socio-économiques des couches vulnérables (surtout de leur droit au logement et au foncier) s’est exprimé sur la question d’accaparement des terres par les sociétés immobilières et bien d’autres sujets d’actualité.
Comment se déroulent vos activités de promotion du droit au logement et au foncier ?
Président du MSP-DROL : Nos activités se déroulent très bien en ce qui concerne le foncier au Burkina Faso. C’est depuis près de 18 ans que nous sommes sur le terrain pour défendre le droit socio-économique des citoyens en matière de la sécurisation de leurs terres et de logement décent. On s’est battu pour que des lois foncières puissent être changées. Je peux parler notamment du droit foncier aujourd’hui en parlant de la Réorganisation agraire et foncière (RAF). Depuis 2009, la terre appartient désormais à trois entités : les collectivités territoriales, l’Etat et les particuliers.
Quelle appréciation faites-vous du niveau d’application de la loi 034 ?
Nous apprécions positivement même si des efforts restent à fournir. Même si ça ne répond pas aux conventions que le Burkina Faso a signées ; ce qui est sûre c’est une loi qui est là quand même et c’est mieux que dans d’autres pays où il n’y a pas de lois foncières.
Quels sont les grands chantiers sur lesquels le MSP/DROL est à l’heure actuelle ?
Les grands chantiers du MSP/DROL à l’heure actuelle, je vais parler particulièrement de ce qui concerne la loi portant sur le bail d’habitation privée. Aujourd’hui, nous enregistrons trop de plaintes de la part des locataires et bailleurs. Et cela chaque jour que Dieu fait. Nous sommes allés jusqu’à avoir une collaboration avec la gendarmerie, comme c’est une affaire civile. Tous les locataires qui ont des problèmes avec leurs bailleurs et vis-versa et qui partent à la gendarmerie, sont redirigés vers nous. Ce qui fait que tous les jours, nous avons des recommandations de la part de la gendarmerie. Nous avons aussi des bailleurs qui nous contactent pour la résolution des bisbilles qui existeraient entre eux et leurs locataires. L’autre grand chantier auquel nous faisons face est l’accaparement des terres par les entreprises immobilières. A l’heure actuelle, nous avons près de 3 conventions avec des entreprises immobilières qui ont voulu spolier la terre des populations paysannes. Ces dites conventions ont pour objet de préserver les droits des propriétaires terriens. Nous pouvons citer les cas des communes rurales de Koubri, de Saaba, de Tanghin Dassouri et de l’arrondissement 8 de Ouagadougou.
Quelle est votre appréciation du pillage foncier par les sociétés immobilières ? Font-elles réellement leur travail ?
Vous savez le foncier est complexe en ce sens qu’aujourd’hui qui a donné l’autorisation aux entreprises immobilières d’accaparer les terres de ces paysans ? C’est l’Etat. Il y a une loi portant organisation des entreprises immobilières. Et qui parle de loi, parle de règles. Et je pense que si ces règles disent que les entreprises peuvent fonctionner de la manière dont elles fonctionnent et que l’autorité est là, et ne dit rien, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Les textes sont clairs donc je pense que c’est à l’autorité d’encadrer ces gens-là pour que la mission qu’on leur a confiée puisse être accomplie dans la légalité et le respect des intérêts des propriétaires terriens. Si l’autorité ne suit pas de prêt les agissements de ces sociétés immobilières, dans tous les cas nous nous avons pris notre responsabilité. En ce sens que certaines sociétés ne se gênent pas de vous dire que même l’autorité est au courant. Il y a le cas d’une entreprise immobilière qui est allée occuper plus de 150 hectares dans un village. Les habitants de ce village nous ont approché pour nous passer la puce à l’oreille comme quoi une entreprise est venue acheter leurs terres à vil prix. Nous avons approché cette entreprise pour lui dire que c’est vrai que c’est l’Etat qui vous a donné le droit d’aller vers ces gens-là. Selon le schéma d’aménagement directeur du Burkina Faso, l’Etat vous a laissé, vous êtes allés envahir 150 hectares. Au regard de cette situation nous, en tant que mouvement de défense du droit au foncier, nous avons invité l’entreprise en question au dialogue franc et à la concertation parce que ces gens-là ont un droit en dehors de votre achat. Certes, vous avez acheté ces hectares à un coût et nous savons tous que ce coût n’est pas le prix du terrain en question. Nous pouvons citer le cas de GELPAZ Immo/SA. Dans cette affaire, nous avons défendu effectivement la population de Guiguimtenga. Je vais vous envoyer un jour d’aller visiter cette famille la qui a eu une indemnisation portant sur 10 hectares seulement. Sur les 150 hectares que GELPAZ Immo/SA a occupé, nous avons pu récupérer 10 hectares au profit de la famille (des propriétaires terriens). Ainsi, ont été dégagées 250 parcelles pour cette famille. Aujourd’hui, la famille a vendu les parcelles et à construire la clôture du palais royal. Certains membres ont construit des maisons dans la cour royale et d’autres des villas de grandes valeurs et équipées de panneaux solaires. Si vous arrivez à Guiguimtenga et on vous dit que c’est ce village-là, il y a 8 ans de cela, vous n’allez pas croire et cela au regard des logements décents qu’ils occupent. Tenez bien, même le maire a apprécié positivement notre action. Aujourd’hui, il y a l’entreprise CGE Immobilière à Mogteedo et nous sommes en train de travailler avec elle. Depuis un certain temps, nous avons dit aux responsables de cette entreprise d’arrêter leurs travaux et nous allons nous assoir pour discuter. Ils ont accepté et nous nous sommes assis en présence de la population ; nous avons discuté et trouvé un terrain d’entente. Nous attendons qu’ils aménagent les parcelles pour donner à qui de droit. Il y a la société Wend-Panga à Koubri. Le maire, ex membre de notre association (à l’époque où il n’était pas maire) et ses parents, les trois chefs coutumiers de ladite, on les a accompagnés et on leur a donné leurs parcelles et ils sont en ce moment entrain de jouir de leur indemnisation. Un peu plus loin, nous travaillons avec IMMO-REX en face de la cité de la diaspora à gauche. Nous intervenons à Pisla, à Kaya, à Ouahigouya où nous sommes en train d’accompagner les populations. Donc voilà en gros, toute population qui vien vers nous, nous sommes prêts à les accompagner pour qu’ils puissent jouir de leur droit socioéconomique.
Quel commentaire faites-vous de l’apurement du passif sur le foncier ?
L’apurement du passif est un grand problème qui fait qu’aujourd’hui, nous-mêmes nous nous posons des questions. Le Ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme nous a fait savoir que l’apurement du passif ne relevait pas de lui mais du premier ministère qui s’occupe de cette question sensible. C’est ainsi qu’il a mis des commissions un peu partout. Nous-même nous nous retrouvons dans la commission régionale, la commission communale et dans un arrondissement. Donc tous les dossiers que les gens ont déposés, nous avons eu la chance de les déballer et de formuler nos recommandations qui ont été prises. Si effectivement, on arrivait à lever la suspension des lotissements, je suis sûr que nos recommandations vont permettre à beaucoup de citoyens lambda de rentrer en possession de leurs parcelles.
Est-ce que vous pensez que l’autorité va tenir compte de vos recommandations ?
Elle ne peut pas ne pas tenir compte de nos recommandations. Ce sont des recommandations qui ont été lues publiquement et qui ont été transmises à la commission centrale donc elle ne peut pas ne pas les considérer. Si nous constatons que nos recommandations n’ont pas été prises en compte, nous allons appeler encore la presse pour prendre à témoin l’opinion publique. Nos recommandations vont être prises en compte car elles sont conformes aux textes et conventions internationaux et signés par l’Etat lui-même. Et là-dessus je parle avec assurance par ce que dans les commissions, il y avait les magistrats, les représentants du ministère de l’action sociale et bien d’autres institutions. Donc ce sont des recommandations qu’on ne peut pas aller modifier dans les hauts lieux. Donc c’est pour vous dire qu’aujourd’hui, ils sont en phase d’élaboration des décrets d’application avant de lever la suspension.
Propos recueillis par Adama OUEDRAOGO et Assata SINARE